Mourir après le jour des Rois by de la Escalera Manuel

Mourir après le jour des Rois by de la Escalera Manuel

Auteur:de la Escalera, Manuel [de la Escalera, Manuel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature espagnole, Nouvelles
Éditeur: Christian Bourgois
Publié: 1962-02-02T00:00:00+00:00


17 janvier

* * *

Nous ne sommes plus que quatre. Les trois de notre cellule et C. Il a demandé à nous rejoindre pour ne pas rester seul en de tels moments.

À présent, nous sommes tous les quatre en première ligne1.

Burgos Lecea

Les prisons mettent à dure épreuve la sensibilité des écorchés vifs. Là, de tous les prisonniers, le poète connaît le pire supplice. La fin tragique de García Lorca, aurait peut-être été plus cruelle encore s’il avait terminé ses jours dans une prison, comme Miguel Hernández, homme si humain que sa poitrine se brisa dans une prison d’Alicante. Moi, je veux dédier une pensée à un autre poète, presque oublié : Francisco Burgos Lecea.

Son destin fut un des plus tragiques que j’aie connu, bien qu’en prison la tragédie abonde.

Il était andalou, de Jérez de la Frontera. Plutôt grand et sec, il donnait une impression de noirceur qui venait non pas de sa peau – blanche –, mais de ses cheveux épais, couleur de jais ; de ses sourcils touffus, se rejoignant presque ; de sa barbe fournie, d’ordinaire un peu longue, de son œil ténébreux et de sa voix creuse. C’était cette même sensation de noirceur qui confère un certain type, très espagnol, comme celui de Quevedo. Lecea portait en plus des lunettes rondes et noires, quevedesques. Mais l’homme intérieur était un enfant. Ses amis pouvaient lui faire toutes sortes de plaisanteries en étant certains qu’il croirait tout ce qu’ils lui diraient. Je ne me souviens pas de l’avoir vu rire, mais pas davantage se fâcher.

Il dut lutter dans sa jeunesse, non seulement contre la mauvaise fortune qui lui était particulière, mais contre les conditions de vie défavorables des écrivains espagnols dans les années vingt. Exploité par des vendeurs de papier imprimé qui le chargeaient de pondre des histoires et des romans-feuilletons, il écrivit longtemps au milieu de l’indifférence générale.

Il se fit connaître avec Les petits chevaux du diable, un livre de contes, auquel succédèrent d’autres livres de poésie. Il intervint de façon active dans le mouvement « ultraïste » et Guillermo de Torre fit son éloge dans Les Littératures européennes d’avant-garde2. Il eut même sa propre revue : Front littéraire, à laquelle collaboraient les meilleures plumes espagnoles.

Il luttait contre l’adversité en réalisant des coups d’une audace folle, très hispanique, qui firent beaucoup parler dans le monde littéraire3.

Dans la clandestinité de l’après-guerre, il fut rapidement emprisonné. Arrêté, il se retrouva avec d’autres dans un cachot de la Puerta del Sol. Lorsqu’il apprit qu’il allait passer par là avant d’être incarcéré, il écrivit un poème mural au milieu des taches de crasse et des insectes écrasés sur le mur. Il s’intitulait « Le pied à l’étrier, improvisation ». Je crois que quelqu’un l’a recopié.

En prison, il a continué à écrire des contes et des poèmes qu’il faisait circuler et qu’il appelait les Éditions « Ma propre main ». À Alcalá de Henares, où je fis sa connaissance, il donna quelques cours de littérature. Des cours étranges durant lesquels il restait parfois immobile et silencieux durant quatre ou cinq minutes.



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